Il entre, pose son amplificateur sur le sol et commence à jouer tout en tentant de maintenir son équilibre. Ce n’est certainement pas le meilleur violoniste que j’ai entendu mais il est plutôt bon. Il a choisi d’interpréter l’été de Vivaldi ; un morceau qui ne semble laisser personne indifférent dans le wagon.
Alors que je cherche quelques pièces pour le remercier de ce beau moment, j’entends en face de moi un bravo accompagné de quelques applaudissements qui s’éteignent vite. Certainement parce que personne d’autre ne l’a suivi dans l’expression spontanée de son plaisir. Pas même moi. Et je le regrette.

Suis-je donc tellement enfermée dans les conventions que je suis incapable de faire preuve de mouvement spontané en dehors d’une salle de concert ou de théâtre ?
Tout comme quelques autres passagers, je dépose mes quelques pièces dans la corbeille que tend le violoniste. Il les reçoit sans un mot, opposant juste un visage fermé et dur. A-t-il au moins esquissé un sourire en recevant le compliment inhabituel du jeune peintre en bâtiment ? Je n’en suis pas sure. Il ne le remercie en tout cas pas plus lorsqu’il reçoit également de sa part quelques pièces.

Cela fait déjà un moment que le violoniste s’en est allé lorsque je parviens enfin à accrocher le regard du jeune peintre et surtout oser lui parler.
Je ne sais pas vraiment pourquoi je ressens le besoin de le faire. Cela me semble juste important. Et ça l’est peut-être plus pour moi que pour lui d’ailleurs.
Je lui dis qu’il a bien fait de féliciter ce musicien. Que les mots et l’expression de son émotion aussi ont leur importance. Qu’en tout cas, moi j’ai parfois tendance à l’oublier et que je le remercie donc de me le rappeler.
D’abord décontenancé, je l’ai vu esquisser un sourire un peu gêné mais aussi content.

J’ai eu envie de garder en mémoire à quel point il était parfois très simple de se sentir bien et de faire en sorte qu’il en aille de même pour d’autres.
Je sais que pour un moment comme celui-ci où je sais voir et décide d’agir , je passe à côté de cent autres tout comme je serai passée moi aussi à côté de Joshua Bell* sans m’arrêter.
Mais je sais aussi en revanche que si j’étais montée dans le wagon du bonheur, j’aurais moi aussi ri et applaudi sans honte ni hésitation.
Je me suis contentée de pleurer d’émotion le jour où un ami qui me connaît bien a posté ceci sur mon mur FB :

Humeur : Sibelius – Concerto pour violon 1er mouvement

* Fameux violoniste qui prit l’initiative il y a quelques années de cela de jouer dans le métro incognito et qui ne trouva ni reconnaissance ni public.

Bravo

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